Travailler mieux pour gagner autant

J’ai déjà mentionné ici l’originalité des méthodes de management de Google, notamment la règle des 20%, les peer reviews, … (pour ceux qui veulent en savoir plus, je conseille la lecture de l’excellent « Google, la révolution du management » que j’ai découvert grâce à Aysoon) . Certains diront sans doute que le secteur d’activité dans lequel évolue Google lui permet d’innover dans ses méthodes de management mais que ces méthodes ne sont pas transposables à d’autres domaines. L’exemple de Best Buy, une chaîne américaine de magasins de produits électroniques (l’équivalent de notre Darty, en gros) vient démontrer le contraire. Il est possible dans un domaine beaucoup plus traditionnel comme peut l’être le commerce « Brick and mortar » (traduire « brique et mortier », le commerce en dur quoi!) de faire évoluer, que dis-je, de révolutionner le management de ses équipes.

Le problème

L’histoire commence au sein du département en charge de passer les commandes de produits électroniques aux différents fournisseurs de Best Buy. Depuis quelques temps son chef a constaté une montée du stress, une augmentation inquiétante du turnover (qui approchait les 16%) et un taux de satisfaction ses employés en chute libre. Il décide donc d’en parler à deux responsables des ressources humaines chez Best Buy, Jody Thompson et Cali Ressler. Elles analysent la situation et en concluent que le problème est essentiellement dû aux relations que les managers et les employés entretiennent au temps de travail. Pour elles, ce département a une vision du travail digne du début du siècle : c’est la course aux heures de présence, la prime à celui qui accrochera son pardessus su le porte-manteau le premier le matin et qui éteindra la lumière le soir venu. Petit à petit cette mentalité a ruiné le moral des salariés, fait baisser leur productivité, pourri l’ambiance dans l’équipe et empiété sur leur vie de famille.

La solution

Elle décident donc de mettre en place une méthode de leur cru qu’elles baptisent ROWE pour « results only work environment » (environnement de travail où seuls les résultats comptent). Cette méthode se base sur un certain nombre des principes simples qui vont tous dans le même sens: la fin des horaires de travail imposés. Plus de planning, plus de réunions obligatoires, le travail n’est pas un endroit où vous allez va mais quelque chose que vous faite, vous pouvez travailler où vous voulez, quand vous voulez, arriver à 11h parce que vous avez attendu le facteur, partir à 14h pour aller chercher vos enfants, peu importe tant que le travail est fait … Et pour vérifier que le travail est fait, elles mettent en place des indicateurs précis de productivité pour chaque employé (par exemple le nombre de commandes passées par jours).

Les résultats

La mise en place de la méthode ne va pas sans réticences. Certains employés craignent d’avoir à travailler plus et que disparaisse la ligne de démarcation entre vie privée et vie professionnelle. Les managers de leurs côtés ont peur de voir leur autorité remise en question. La mesure est même mise en place à l’insu de la direction pour éviter de la voir tuée dans l’œuf par des patrons trop conservateurs. Les résultats sont pourtant très positifs: en quelques mois, le turnover retombe à 0%, la satisfaction des employés est au beau fixe et la productivité augmente de 35%. Les relations dans le travail évoluent, les managers passent d’un rôle de flic à un rôle de mentor. Est-ce qu’ils travaillent plus ou moins qu’avant, ils n’en savent rien, ils ne comptent plus les heures, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils sont bien plus heureux dans leur travail. L’idée de Jody et Cali est petit à petit étendue et adaptée à d’autres départements puis dévoilée au PDG qui, mis devant le fait accompli, se félicite de l’initiative. L’année prochaine, après avoir converti l’intégralité d siège social, elles envisagent d’adapter leur méthode aux employés des magasins Best Buy.

Conclusion

J’adore cette idée, parce qu’elle paraît complètement utopique au départ et qu’elle se révèle en fait extraordinairement efficace. Je suis persuadé que les nouveaux outils de travail et les moyens de communication actuels permettent d‘envisager des façons de travailler différentes pour peu qu’on veuille se donner la peine d’y réfléchir et de prendre en compte le contexte particulier de chaque entreprise. J’ai peur qu’en France les mentalités ne soient pas très ouvertes sur ce genre d’initiatives et pourtant c’est sans doute un enjeu crucial pour l’avenir de notre pays et pour sa réussite économique et sociale.

Sources: Time, Businessweek, Nouvels Obs

Juin18

4 réponses to “Travailler mieux pour gagner autant”

  1. Bonjour Raf!

    Je voudrais juste apporter mon expérience personnelle sur la question, meme si je n’ai pas ete tout a fait soumise au meme regime.

    En Allemagne, dans les grosses boites du moins, c’est un peu le meme principe: pas d’horaires, pas de pointage ou autre, juste un quota d’une quarantaine d’heures (oui faut quand meme essayer d’honorer son contrat) par semaine. A partir du moment ou le travail est fait, tout va bien. Tout est basé sur la confiance entre managers et employés, et le sens de la responsabilité de ces derniers.

    Il est vrai que c’est bien plus motivant!! D’autant plus que certains sont plus du matin et d’autre du soir (un collegue arrive souvent a 11h pour repartir a 20h, et une autre arrive vers 7h!!)
    Et s’il nous arrive d’avoir a prendre une demi journee, c’est a nous de nous arranger pour faire nos heures et taches demandées.

    Je pense que ca marche aussi parce que les Allemands sont en général assez droits et responsables (la responsabilisation est tres presente dans cette mentalité) . Alors meme si les managers francais envisageait ce genre d’initiative, est-ce que ca marcherait bien en France?

    A bientot!

  2. Merci Pomepome pour ton témoignage, je ne savais pas que les allemands étaient si libres sur les horaires, c’est intéressant de voir que ce système est déjà appliqué près de chez nous. Mais je suis d’accord avec toi, la mentalité allemande n’a rien à voir avec la mentalité française!! Cependant, il y a sans doute des boîtes en France qui proposent la même flexibilité à leurs salariés. Mais là où Best Buy pousse le concept encore plus loin quand même, c’est qu’il n’y a absolument aucune référence horaire et qu’ils ont réussi à mettre en place des indicateurs fiables pour suivre l’activité des salariés.

  3. L’idée est séduisante mais ne peut pas être mise en place dans toutes les entreprises.

    Quand l’activité tient au travail d’équipe, il faut nécessairement que les membres de l’équipe travaillent en même temps. Ce qui impose des plages horaires pendant lesquelles la présence est obligatoire (par exemple, 10-12h et 15h-17h). On pourrait imaginer que cette obligation ne soit pas imposée par l’entreprise, mais reste un contrat moral entre les collaborateurs. L’expérience montre que la bonne volonté tient rarement plus d’un mois…

    Autre point : pour établir le seuil de rentabilité des opérations, l’entreprise doit idéalement connaître la charge de travail et les résultats de chaque collaborateur. Ce qui nécessite une certaine traçabilité, soit du temps passé, soit des résultats.

    Dans tous les cas, il faut trouver le bon équilibre entre le flicage systématique (à bannir, bien sûr) et le flou artistique total (à bannir aussi…).

    En fait, chaque cas est unique et, si les bonnes recettes méritent d’être examinées, elles ne doivent pas être appliquées à la lettre !

    Ce qui est vraiment intéressant dans cet exemple, c’est d’avoir agi sans l’aval de la direction générale et d’avoir attendu tous les éléments de résultat pour officialiser la démarche. C’est osé mais très efficace !

  4. Tout à fait d’accord avec toi Christophe, le modèle n’est pas forcément transposable à n’importe quelle boîte. Mais ce que je voulais montrer avec ce billet, c’est que toutes les boîtes peuvent aujourd’hui réfléchir à de nouvelles façons de travailler adaptées à leur domaine d’activité. Les moyens de communication et les outils de travail ont évolué depuis le début du siècle, l’organisation et les horaires de travail pas tellement.
    Je prends un autre exemple mis en place par un hypermarché (Auchan je crois). Plutôt que d’imposer des horaires de travail à chacune de leurs caissières (ou caissiers), ils ont constitué des groupes de 30 caissières et ils leur ont dit combien de caisses devaient être ouvertes dans chaque tranche horaire de la journée. Charge à elles ensuite de s’arranger en fonction de leurs impératifs personnels pour répondre à la demande de la direction. C’est à mon sens un bon moyen d’impliquer et de responsabiliser ses employés tout en offrant plus de souplesse dans le travail.

Répondre